Trésors de la Croatie ancienne
des origines à la fin du XIIe siècle

Préface

C’est une excellente idée qu’a eue dans les années 1990, au lendemain de la création de l’État croate indépendant, l’Académie croate des Sciences et des Arts (fondée à Zagreb en 1861) d’entreprendre une histoire des rapports entre la Croatie et l’Europe du point de vue culturel, scientifique et artistique. Voici la traduction française du premier des cinq volumes de cette histoire, qui couvre la période de la genèse de la Croatie du VIIe à la fin du XIIe siècle et de son apogée médiéval.

Les auteurs, tous croates, y montrent, d’une façon érudite, intelligente et brillante que la Croatie est une composante originale mais profondément européenne de l’ensemble constitué par l’Europe et que, dès le Haut Moyen Âge, elle y a contribué d’une façon éclatante dans le domaine le plus important pour sa spécificité, celui de la civilisation.

La Croatie manifeste au plus haut point son caractère européen par la combinaison remarquable d’une personnalité où s’affirment jusqu’à aujourd’hui, dans les épreuves et les tourmentes, la conscience identitaire et l’appropriation des diverses cultures avec lesquelles elle a été en contact. Comme l’Europe elle-même, la Croatie est faite d’acculturations successives qui l’ont enrichie sans l’altérer.

Cette diversité est d’abord inscrite dans la géographie au contact entre Orient et Occident, entre l’Europe du Nord et celle du Midi.

Elle a été ensuite le fruit de l’histoire. La Croatie a recueilli l’héritage de l’Empire romain, autour de Salone, capitale de la Dalmatie romaine. D’origine slave, elle a intégré à l’héritage slave continué les apports de ses voisins carolingiens, byzantins, vénitiens et sud-italiens, pannoniens et notamment hongrois.

Elle s’est convertie au christianisme latin, la première des peuples slaves, ce qui l’a placée sur la frontière conflictuelle (on le voit encore aujourd’hui) du christianisme grec orthodoxe, mais qui l’a intégrée, d’une façon qui devrait être mieux reconnue aujourd’hui, à la Chrétienté latine, berceau de l’Europe. Elle a su, tout en étant « la région la plus orientale de l’Europe où la langue et l’alphabet latins furent utilisés dans la pratique diplomatique », unir le latin écrit au cyrillique et, surtout au niveau de la liturgie, au glagolitique, ce que le pape Innocent IV finit par accepter au milieu du XIIIe siècle. Aussi le pape Paul VI a-t-il pu dire qu’elle appartient aux « territoires de rencontre et de dialogue ».

On verra dans ce superbe livre qui fera rougir beaucoup de ses lecteurs français, moi le premier, pour leur ignorance, la floraison d’un des plus beaux arts européens du Haut Moyen Age. On y rencontrera deux des plus hautes figures intellectuelles du Moyen Âge : le théologien saxon Gottschalk, hôte du prince Trpimir de 846 à 848, et le grand savant Herman le Dalmate, brillant élève de l’école de Chartres de 1130 à 1134, un des premiers introducteurs en Europe de la culture arabe et grecque transmise par les Arabes.

Je ne doute pas que les lecteurs de cet ouvrage y trouveront des raisons décisives pour accorder au peuple croate actuel, par-delà les vicissitudes de notre siècle tragique, leur admiration, leur amitié et leur zèle à l’aider à faire reconnaître sa place plus que millénaire dans l’ensemble européen.

Jacques Le Goff
École des Hautes Études en Sciences Sociales

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